Jeudi 29 février 2024
Une semaine après avoir franchi son premier cap Horn, Eric Péron bataille au large du Brésil avec deux adversaires. Le premier est un camarade, mais non moins concurrent : Anthony Marchand (Actual Ultim 3) n’est distant que de 200 milles dans l’Ouest de l’ULTIM ADAGIO et cherche lui aussi à frayer un chemin vers l’équateur. Le deuxième est leur carburant à tous les deux, ce vent absent d’une large zone où les alizés devraient souffler à cette époque de l’année.
Après avoir essuyé les conditions les plus rudes de son tour du monde le long de l’Argentine, Eric Péron qui vient de recroiser sa route aller au large de l’archipel de Trindade, va devoir se coltiner un premier Pot au Noir jusqu’à la fin de la semaine, … avant d’attaquer le véritable équateur météorologique, dernier péage vers l’Atlantique Nord.
Il s’en est passé des choses depuis ce 21 février où Eric Péron immortalisait d’un joli dessin sur son ardoise les contours bleutés de l’Antarctique qu’il venait d’enrouler, laissant derrière lui son premier cap Horn. Avec en prime le meilleur temps de la course pour traverser le Pacifique, le chapitre Grand Sud de cet ARKEA ULTIM CHALLENGE - Brest était bouclé, mais l’affaire était-elle gagnée pour autant ? « Je n’aime pas cette partie de l’Atlantique Sud. Je m’étais préparé à quelque chose de difficile et j’ai été servi. Ça a été l’enfer …», dit sans détour le skipper de l’ULTIM ADAGIO. « La Cordillère des Andes bloque les dépressions, poursuit le skipper, mais il y a tellement d’air froid en altitude que de nouvelles perturbations se créent plus vite qu’il ne faut pour le dire ». Par deux fois, le vent a changé à 180° avec des pointes à plus de 60 nœuds qui sont venues brutaliser le trimaran avec d’incessantes manœuvres à la clef. « Rien de visible à la surface de l’eau pour te prévenir, ça vient d’en haut. C’était brutal et je me suis vraiment senti vulnérable ».
Par deux fois donc, il a fallu se mettre en fuite, rouler en catastrophe et esquiver ce vent lourd et froid. Puis reprendre sa route dans un clapot infernal, l’atmosphère vidée de sa substance laissant claquer chaque ancrage et mettant à la torture l’accastillage du trimaran. S’en est suivi une montée au mât pour récupérer un lazy-jack (cordage qui tient la housse de grand voile, indispensable lors des réductions de voilure), pas mal de bricoles sur les bouts de remontée de foils, le bras de liaison ou le J1, mais rien de rédhibitoire.
Il n’y a pas d’alizé au numéro demandé…
Ça tombe bien, car après s’être bien tendu au profit d’Anthony Marchand, crédité de plus de 600 milles d’avance dimanche encore, l’élastique s’est détendu à la faveur d’Eric. 200 milles seulement séparent les deux compagnons ce matin et leur décalage en longitude est frappant. « Antho est arrivé plus tôt que moi devant la zone de vents faibles et n’a pas eu d’autre choix que de tricoter à la côte. Nous avions la possibilité de suivre ou d’optionner. Avec David, (Lanier, son routeur NDR) on a préféré partir au large. C’est potentiellement plus rapide, il n’y a pas le trafic maritime à gérer le long de la côte et moins de manœuvres… J’ai franchi un petit talweg hier et maintenant j’attaque la dorsale. Ça va m’occuper jusqu’à la fin de la semaine ! »
Après le tango argentin, voici donc la bossa brésilienne. Sur plus de 1000 milles nautiques carrés, l’Atlantique Sud est un désert. Pas de gradient de pression, pas d’alizé non plus. Parti au large, l’ULTIM ADAGIO va pointer ses étraves nettement plus à l’Est vers l’équateur qu’Actual Ultim 3. « Sur les routages, on s’en tire normalement assez bien », veut croire Eric qui sait Actual privé d’un foil et sans l’usage du second, donc archimédien comme lui.
Le juge de paix entre les deux concurrents sera donc le Pot au Noir qu’Eric traversera à partir de mardi dans une zone en théorie moins propice (à l’Est), mais en bonne place ensuite pour raccourcir le chemin du retour et accélérer avec un bon angle dans l’alizé de Nord-Est.
Hommage à Charles
Des considérations assez lointaines sur cet espace temps qui s’effiloche et que la moiteur brésilienne contribue à rendre moins palpable. Dans ce contexte, chaque signe du chemin parcouru est bon à prendre. Avoir recroisé sa route la nuit dernière au large de l’archipel de Trindade en est un premier. Tout comme l’arrivée victorieuse de Charles Caudrelier à Brest suivie en direct cette semaine par Eric : « J’ai pu voir le replay comme à la maison grâce à la Starlink ! La synergie entre le talent de Charles et celui de son équipe donne envie. Et ils se projettent déjà dans l’après, c’étaient de belles images », appréciait le skipper de l’ULTIM ADAGIO qui a félicité par message le vainqueur de ce tour du monde historique.
Pour l’heure, Eric se concentre sur la trajectoire de son trimaran dans des conditions qui réclament de l’attention pour exploiter au mieux l’existant et rester lucide. « Depuis le cap Horn en fait, on a beaucoup enchaîné sans jamais s’offrir de longues plages de repos. Je sens la fatigue à la capacité de sortir de mes siestes. Je m’arrache plus difficilement de la bannette qu’au début et la chaleur qui empêche de dormir la journée ne facilite pas la récupération », confiait le skipper.
Avant de retrouver l’air vif de l’Atlantique Nord, l’adrénaline de la régate reste la meilleure des motivations pour oublier la fatigue de 53 jours passés en mer.
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