Opération commando
Car dès l’annonce de l’avarie au petit matin de vendredi, l’équipe qui avait déjà accompli l’exploit de préparer le bateau en trois mois pour être au départ de Brest le 7 janvier dernier, s’est immédiatement re-mobilisée. Il a d’abord fallu retrouver le plan précis du secteur de barre qui doit s’adapter très exactement au carré de la mèche de safran qui débouche au-dessus du pont du flotteur tribord. Puis dénicher l’usineur disposant d’un bloc d’alliage d’aluminium de la qualité requise pour fraiser une nouvelle pièce. « Ils n’ont pas traîné, le vendredi soir, la pièce était déjà usinée ! » raconte Eric. Elliot Le Dem, préparateur de l’ULTIM ADAGIO est parti de Lyon et a pris l’avion le premier pour organiser l’escale sur place et il a été rejoint par Loïc Le Mignon, boat captain, qui a décollé samedi après avoir récupéré les pièces à Brest. « À minuit hier, tout le monde était à bord. Les gars ont charbonné toute la nuit pendant que je dormais avec des boules Quiès ! Ce matin, ils avaient terminé, on aurait pu reprendre la mer à midi ! »
Mais il fallait attendre les 24 heures, requises par le règlement pour toute escale, avant de pouvoir de nouveau franchir la porte de référence fixée par la direction de course à la sortie de la baie…
L’histoire retiendra donc que l’ULTIM ADAGIO est le quatrième des six ULTIM de ce tour du monde à faire une escale technique, la première étant celle du Maxi Banque Populaire XI qui s’était arrêté à Recife au Brésil au huitième jour de course. Contrairement aux autres avaries survenues chez ses concurrents, celle de l’ULTIM ADAGIO consistait simplement à remplacer une pièce et ne supposait pas de toucher au composite du bateau puisque la vérification du safran en plongée n’a montré aucune détérioration. Elle fût tout de même l’occasion de checker un certain nombre de systèmes, dont le moteur principal et la génératrice qui avaient tendance à désamorcer (l’alimentation en gasoil) et rendait les séances de recharge de batteries aléatoires.
Ne pas perdre le fil
Rondement menée, l’opération a également permis à Eric de profiter d’un bon repas et d’une douche avant de revenir à bord ce dimanche après-midi. Le fait d’avoir laissé le bateau sur une bouée, de ne pas avoir eu de clearance d’entrée, ni de manœuvre de port à réaliser, a beaucoup simplifié les choses. « C’était le bon choix. Nous avons pu aussi profiter des solidarités locales avec notamment Manuel Mendès qui tient un chantier naval et a l’habitude de ces pit' stops de bateaux de course. Je regrette un peu d’être allé à terre. Ça m’a permis de passer un petit moment avec l’équipe de SVR et de discuter avec Tom (Laperche), mais j’ai aussi pris toute la civilisation dans la figure après avoir passé vingt jours dans un monde où les seules règles sont celles de la nature ».
Après les émotions et les accolades, il faut désormais remettre son nez dans les fichiers de vent pour trouver la bonne veine et tracer sa route à travers l’océan Indien. Stoppé dans sa course alors qu’il naviguait dans un bon flux de vent, Eric va devoir faire preuve d’habileté pour profiter d’un nouveau front devant lequel il faut absolument rester pour rejoindre la partie méridionale de l’anticyclone centré sur les îles Crozet. « La pointe de l’Afrique du Sud canalise le vent. Il souffle au Nord-Ouest dans l’Ouest du cap et Nord-Est dans l’Est. Au milieu, il y a un triangle très perturbé. Notre but est donc de descendre Sud assez vite avant d’obliquer à l’Est et d’éviter ce dévent par le bas », expliquait le skipper, prêt pour une nuit active à régler son trimaran et veiller les nombreux bateaux de pêche du secteur.
Une chose est sûre, le Grand Sud est à nouveau au programme pour Eric Péron, lui qui va enfin découvrir ces hautes latitudes qui l’ont fait rêver. « Chasing the dawn » (à la poursuite de l'aube), c’est ainsi que les Britanniques appellent joliment cette navigation plein Est qui l’attend pour une vingtaine de jours. Avec sur la route un front à devancer, un anticyclone à contourner sans se faire coincer par la porte des glaces, et les rebuffades de masses d’air qui, elles aussi, font le tour du monde.
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